13. Oct 2025 | Par Aurélie

Patrice

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Dans cette librairie où vous aurez envie d’aller.

À 18 heures, nous décidons de reprendre la route pour aller remplir la cuve d’eau du VR ; une douche ne serait pas du luxe. Au moment de descendre du véhicule, impossible de remettre la main sur le portefeuille de Xavier. Il fait nuit et les pièces du puzzle s’assemblent de façon assez évidente. Laverie, bras remplis de sacs de linge ; Robin dit tranquillement : « J’ai posé le portefeuille sur un sèche-linge. » Nous sommes tous partis sans rien voir. Il y a beaucoup de questions dès lors : « Doit-on faire opposition tout de suite ? », « A quoi sert la fonction de blocage temporaire de sa CB ? », « Quelqu’un aura-t-il trouvé le portefeuille ? », « L’aura-t-il volé ? Ramené chez un commerçant ? », « Comment fera-t-on sans carte bancaire ? », « A quelle heure ferme la laverie ? »

Lorsque nous arrivons à la laverie, vers 19h30, nous trouvons un petit mot collé sur un sèche-linge : « Votre portefeuille est à la savonnerie. » C’est le soulagement. Le lendemain matin, dès l’ouverture, nous sommes à la savonnerie. La personne qui tient la boutique nous raconte : elle a fait le tour de tous les commerces pour prévenir que si un Xavier se présentait, il fallait le diriger vers elle. Elle a appelé la Police. Elle s’excuse d’avoir été contrainte de fouiller dans le portefeuille. Elle nous dit comme elle s’est inquiétée en voyant tous les papiers à l’intérieur : CB, carte de citoyen, permis de conduire.

Tout rentre dans l’ordre et nous quittons la savonnerie le sourire aux lèvres. Je regrette de ne pas avoir demandé le prénom de cet ange qui a fait tout le nécessaire pour nous aider. Je pense à cet Européen aussi, que nous ne connaîtrons jamais et qui lui a ramené notre portefeuille, le plus honnêtement du monde. Je pense aussi à autre chose : les téléfilms de Noël. La savonnerie « Poussière d’étoile » fait partie de ces boutiques comme on les voit dans les films de Noël dont on connaît la fin dès les premières minutes. Une nana qui bosse dans une agence de pub à New-York a trop de travail pour aller passer les fêtes de Noël dans sa famille au fin fond du Connecticut. Au dernier moment, sa boss l’envoie de toute urgence voir un client que l’agence est sur le point de perdre. Sur la route, elle est prise dans une tempête de neige et secourue par un type en chemise à carreaux qui roule dans un vieux pick-up et n’est pas trop du genre à parler. Elle se retrouve coincée dans un tout petit village, évidemment sans réseau. Elle trouve une auberge, attenante à la savonnerie. Une savonnerie où l’on fait des savons au lait d’ânesse, à la main, comme avant. Une boutique en péril car sa fondatrice est trop vieille et personne ne peut prendre sa suite. La suite justement : rencontres fortuites entre la nana de la pub et le dépanneur taiseux en pick-up, amitié filiale avec la vieille dame de la savonnerie. Il se peut que le gars à la chemise à carreaux soit veuf et s’occupe de sa petite fille adorable. La fin, vous la connaissez. Elle ne retourne jamais à New-York, elle reprend la savonnerie, elle emménage avec le gars en pick-up qui contre toute attente était prêt à faire entrer une nouvelle femme dans sa vie et celle de sa fille. Le village est si heureux de voir ce jeune couple aux dents blanches. La veille de Noël, tout le monde se rassemble en buvant des chocolats chauds et en dégustant des pancakes au sirop d’érable. La savonnerie est sauvée et le gars au pick-up, cet enfant du village, a enfin retrouvé le sourire. Que la vie est douce !

Je suis toute à cette histoire lorsque nous nous rendons jusque chez « Nath et compagnie ». Je ne connais pas Nathalie mais j’ai repéré sa librairie-salon de thé dans la revue des libraires indépendants du Québec que j’avais trouvée à la bibliothèque de Montmagny où nous avions passé une journée de travail. La veille, pas de chance, c’était jour de fermeture. Mais aujourd’hui, c’est bon. L’épisode du portefeuille perdu est finalement un cadeau caché : nous allons pouvoir aller à la librairie. Une librairie-salon de thé où il se pourrait bien qu’un jour, une nana qui bosse chez un gros promoteur immobilier à New-York se retrouve par mégarde au moment des fêtes de Noël et tombe amoureuse d’un gars en chemise à carreaux qui roule en pick-up et fait du sirop d’érable le week-end, avec son fils orphelin. Quelque chose comme ça. Une librairie avec du bois, des pâtisseries alléchantes et évidemment, plein plein de livres.

Derrière le comptoir, ils sont deux et je m’adresse tout de go à la femme : « Vous êtes Nathalie ? » Elle n’est pas Nathalie mais le monsieur à côté d’elle est Patrice. Et Patrice est à la fois le libraire des lieux et le conjoint de Nathalie. À eux deux, ils doivent être le « compagnie » de « Nath et compagnie ».

Patrice me serre la main droite en posant sa main gauche par-dessus. J’y vois un signe ostentatoire de gentillesse.

Il y a rapidement foule dans la petite librairie. Pourtant, la saison s’achève. Le calme revient. La librairie de Patrice et Nathalie est ouverte toute l’année. Celle de Gaspé est à une heure de route environ. Celle de New-Richmond, à 2,5 heures. Patrice nous dit que les gens de Chandler viennent chez lui et évidemment, ce nom m’emmène dans l’appartement mauve de six amis new-yorkais mais je ne peux pas une nouvelle fois m’égarer en terres fictionnelles.

Il faut imaginer : le grand vent dehors, les toutes petites tables, la vaisselle fleurie, un pain au chocolat très fourni en chocolat, un brownie au poids équivalent au bon goût, et des chocolats chauds qui fument, des livres jusqu’au plafond. Et. Et : une échelle de bibliothèque. « C’est notre marque de fabrique ! Tout le monde nous dit qu’elle rappelle celle d’Harry Potter. » Je me mets à penser à Olivander’s, le magasin de baguettes magiques. Puis je dois revenir au monde réel.

Patrice a travaillé à tous les maillons de la chaîne du livre, revenant à ses premières amours en vendant de nouveau des livres. Il a vendu des maisons aussi et trouve qu’il y a plus à raconter avec les livres. Nous parlons quelques minutes des miens et sur un post-it, il me demande d’écrire mon nom. Nous parlons du prix unique du livre et du fait qu’ici, son fond attire plus que les nouveautés.

Puisqu’il est question de maisons et de récits, nous parlons de Retour au refuge. Patrice nous raconte comment les habitants des îles Madeleine ont presque tous une tiny house à côté de chez eux. « L’été, ils y vivent pendant qu’ils louent leur maison aux touristes. Une fois la saison passée, ils délaissent leur roulotte et retrouvent leur maison. »

Dans les rayons, je trouve les livres de mon amie Julia Kerninon. Je réalise que je n’y connais vraiment rien en littérature québécoise. Je demande conseil à Patrice. Je sens comme il a à cœur de bien me répondre, de me répondre de la façon la plus complète possible, ou la plus sincère. Il cherche parmi les livres qu’il a en stock, abandonne les références qu’il n’a pas mais me donne quand même les noms et les titres. Il commente chacune de ses propositions. Privilégie les formats de poche parce qu’un jour, nous aurons à reprendre l’avion avec des valises déjà lourdes et déjà pleines. J’ai bientôt les bras remplis de livres. Xavier, Robin et Montaine ont fait leurs choix depuis longtemps. Ils m’attendent mais je sais aussi qu’ils veulent me laisser toute à ma joie d’être dans ce lieu où l’on mange bien, où il y a des livres et un vrai parti-pris de libraire, loin des grandes enseignes où tout se trouve mais où tout se perd aussi. Ici, il y a un libraire adorable, puits de références et de conseils.

Patrice nous dit que bientôt, ils ne seront plus que 110 ici, dans le froid. Et j’ai envie d’être de ceux qui viendront se réchauffer, choisir un bon livre et engloutir un bon cookie. Une habituée, comme ce gars-là, qui est entré tout à l’heure par la porte arrière, a commandé sa boisson et est sorti avec, as usual.

J’emmène Patrice avec moi ; il sera dans les livres que j’ai achetés et dans nombre des prochains chocolats chauds que je vais boire au Québec. Et peut-être qu’un jour, je reviendrais ici parler de mes propres histoires où l’on préfère l’hiver. Peut-être avec mon gars en chemise à carreaux à moi, dont je suis déjà amoureuse.

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