Marie-Claude
Il me semble que chaque fleur a sa propre vie. Une position, une posture. Je leur imagine toutes sortes d’histoires.
Il n’a pas plu de tout l’été à Percé, dans cet endroit de la Gaspésie qui ressemble à ces autres endroits où la terre s’achève, au bord de la mer. Ce matin-là, c’est le retour de la pluie. Une pluie dense et gelée qui cingle le visage. La saison estivale est terminée et peu à peu, Percé se vide. On nous raconte qu’en plein été, les rues sont noires de monde. Avec nous, en ce début octobre, elles sont vides, les commerces ferment un à un. Bientôt, ils ne seront plus que 110 âmes ici. En attendant, on sent la saison touristique qui s’effiloche. Il y a trop de magasins de souvenirs pour un village classique ; il n’est pas difficile d’imaginer les files d’attente un peu partout. Le mode automnal nous convient bien.
Après avoir marché jusqu’à la jetée pour admirer le rocher percé, nous choisissons d’entrer dans une boutique-galerie de créateurs qui s’appelle « Ateliers à travers ». Derrière le comptoir, un sourire nous attend. Nous sommes ruisselants de pluie ; le sourire nous dit : « Entrez, il ne pleut pas ici ! » Nous baguenaudons entre les créations des illustrateurices, photographes, couturières… Et puis, le sourire devient celui de quelqu’un.
Marie-Claude vit tout près de Percé. Chez elle, elle cultive toute sortes de fleurs qu’elle récolte puis qu’elle presse avant d’en faire des œuvres d’art. Ses créations de végétaux séchés sont ensuite scannées puis imprimées d’une façon si précise qu’il est difficile de distinguer les originaux des impressions. Je crois me souvenir qu’il s’agit d’une technique à l’encre giclée, mais j’ai un doute sur l’appellation.
Les créations de Marie-Claude sont d’une poésie et d’une délicatesse qui m’emmènent loin. Derrière la simplicité qui s’en dégage, c’est toute une complexité créative qui se cache. Faire sécher des fleurs ne consiste pas à les placer entre deux pages de livres. Le carton est spécifique, son épaisseur aussi pour compenser celle de la fleur et éviter que les reliefs altèrent la physionomie réelle de la fleur. La durée du processus varie en fonction de la fleur ; l’enjeu est de parvenir à conserver toute la vivacité des couleurs et des textures. Marie-Claude me fait frissonner de passion : « Il me semble que chaque fleur a sa propre vie. Une position, une posture. Je leur imagine toutes sortes d’histoires. » Elle ajoute que ça la fascine puis précise finalement : « En fait, c’est surtout que ça m’émeut. »
Auparavant photographe, Marie-Claude a des yeux qui voient d’une certaine façon et je me dis que c’est bien là le propre des artistes. « J’ai plus d’idées que de temps pour les réaliser. Je viens de découvrir que les amérindiens nommaient les pleines lunes : lune des fleurs, lune des fraises, lune des chasseurs. Ça m’a donné plein d’idées. » Au mur, une lune de fleurs séchées s’affiche, sublime.
C’est son copain qui lui a fabriqué ses presses en bois. « Comme nous sommes plutôt du genre actif, les presses étaient auparavant sur le divan où nous ne nous posons jamais. Mais ça ne suffisait pas. Notre table est désormais pleine de presses ! » Alors qu’elle nous raconte ce moment, il y a quelques temps, où en faisant son ménage elle a observé un moment un insecte qu’elle n’avait encore jamais vu, nous palabrons sur notre petitesse d’humains. Sur la façon que nous avons de nous croire plus grands et plus forts, dans un monde sur lequel nous pouvons avoir tant d’impact, alors que tant nous échappe en réalité. Cet insecte ce matin-là lui a raconté ça et Marie-Claude qui a visionné Microcosmos, a pris conscience de cette vie qui nous entoure, à peine visible.