Catherine et Gérard
C’est le plein mois d’Août. L’été et une urgence médicale nous ont conduits tous les quatre à Angers. Nous passons quelques jours chez des amis qui sont eux-mêmes en vacances. C’est le moment parfait pour avancer sur notre projet d’explorations. Depuis quelques temps, je sens que ce dernier ne prend pas la tournure qui compte pour moi. Je n’ai pas envie de faire du tourisme. J’ai envie de vivre ailleurs, de découvrir ailleurs, de rencontrer des gens, de leur poser des questions. Je sais que je ne tiendrai pas si je n’ai pas de questions à poser à des gens. Alors, je fais une liste, nous faisons des listes. Qu’avons-nous envie de découvrir ? Qui avons-nous envie de rencontrer ? L’errance numérique me mène tranquillement au détour d’un compte Instagram et je découvre « La famille de la forêt. » Le topo du documentaire qui leur est consacré sur Arte mentionne : « Gérard Mathar et Catherine Jacob ont quitté leur famille, leurs amis et leur pays pour vivre en autarcie dans la forêt boréale de la Gaspésie, au Québec. » Je poursuis : « Étouffés par les contraintes d’une modernité qui ne leur convenait pas, ils ont quitté leur Ardenne belge avec leurs trois petits garçons pour s’installer en Gaspésie, dans l’est du Canada, sur un terrain de 22 hectares en pleine forêt. Là, ils ont construit une maison en bois pour vivre en harmonie avec la nature et en quasi-autonomie, entre le potager, les vaches, la basse-cour. La cueillette de champignons, de plantes et de baies alimente leur petite entreprise de produits forestiers. » Je veux les rencontrer.
Mon premier message date du 09 août ; j’explique qui nous sommes, notre projet de vivre une année différente, notre désir de les rencontrer, de les interviewer. C’est peut-être une bouteille à la mer mais tant pis, l’envie a le pouvoir d’enclencher l’action, sans s’encombrer des impossibilités. Le 18 août, nous recevons un message qui nous dit : « Pas de problème. » Dans les semaines qui suivront, nous affinerons une date et rejoindre Catherine et Gérard, au bout du bout de la Gaspésie, à bord de notre camping-car « Roccio », deviendra notre destination. L’endroit et l’objectif vers lesquels nous tendrons toute notre organisation.
Le mardi 7 octobre, nous sommes là. À Douglastown. Il fait très chaud. Quelques jours auparavant, sur le petit écran d’un ordinateur, nous avons visionné le documentaire qui leur est consacré sur Arte. Juste ce qu’il faut pour savoir où l’on va sans pour autant étancher sa curiosité.
« La Gaspésie est une péninsule située au centre-est du Québec, à l’est de la vallée de la Matapédia, et entourée des eaux de l’estuaire du fleuve Saint-Laurent au nord, du golfe du St-Laurent à l’est et de la baie des Chaleurs au sud. Le nom de Gaspésie est un dérivé du mot Gaspé qui est un dérivé du terme micmac Gespeg signifiant « fin des terres ». Tour à tour terre d’accueil pour les Micmacs, Acadiens,pêcheurs jersiais et normands, basques, bretons, émigrés irlandais, écossais, anglais, belges et les migrations des Canadiens français, la Gaspésie conserve encore aujourd’hui la marque de ces différents mouvements de populations, tant par ses toponymes évocateurs que par les différents accents pittoresques qui se succèdent d’un village à l’autre. »* La Gaspésie est un territoire peu peuplé. 80 000 personnes. 95 % du territoire sont occupés par des forêts. C’est une région dite « éloignée ». Une façon plus douce de dire défavorisée. Il y a moins de services, « mais aussi plus de paix » précise Gérard.
Nous nous installons sur la terrasse, à côté de la maison en cèdre blanc. Il fait vraiment chaud. Et pour autant, voilà, les feuilles sont presque toutes au sol. Il paraît que le climat a trois semaines d’avance sur ses habitudes.
Catherine et Gérard vivent au Québec depuis 20 ans. 15 ans ici, dans cette forêt à Douglastown. En 1989, ils ont entrepris un roadtrip de 3 mois. Ils ont aimé ici. Ils sont revenus 6 ans plus tard. « On s’est barré. » Je souris aujourd’hui, parce que l’autre jour, alors que nous faisions un Espace game (parce que les enfants sont des enfants et que s’ils ne râlent même pas quand nous marchons, il y a un moment où faire un Escape game ou aller à la piscine est indispensable), Loïc qui nous a accueilli chez SOS Aventure à Québec, qui portait une longue robe noire et des talons dans un style semi-baroque, semi-gothique, nous a dit de « barrer » notre casier. Il m’a fallu un peu de temps pour comprendre qu’il parlait du cadenas. Je me demande maintenant ce que pourrait signifier le fait que Catherine, Gérard et leurs trois fils se soient barrés de Belgique…
Se barrer, ce n’est simple qu’une fois que c’est fait. « On ne regrette pas, sauf quand vos parents tombent malades et que vous n’êtes pas là… Pour les enfants en revanche, aucune inquiétude. Si tu ne compliques pas les choses, eux ne les compliquent pas non plus. Les garçons avaient 1, 4 et 7 ans quand nous sommes arrivés ici et je pense qu’ils se sont surtout bien amusés. » Catherine complète : « Gérard est arrivé ici un mois avant nous pour acheter et voiture et nous trouver une maison. Dans un conteneur qui a pris le bateau, on avait mis nos livres et nos vêtements. Nous, on a pris l’avion. » Ils ont atterri à Matapedia, « là où les rivières se rencontrent. »
Aujourd’hui, Côme, l’aîné, est boulanger à Gaspé. Il a fait des études d’histoire aussi. Au milieu, il y a Ossyane. Son prénom signifie « insoumis » en arménien. Il a suivi des études à l’institut national d’agriculture biologique et il est apiculteur aujourd’hui. Il a 30 ruches, aimerait en avoir 100 d’ici 3 ans. Enfin, il y a Jonas, 21 ans. Il suit des études d’ébénisterie à Victoriaville, à 800 kilomètres de là où nous nous trouvons.
Alors que j’écris ces lignes, je reçois un mail de Marjorie. Marjorie, écrivaine, qui vit près de Chambéry. Nous avons partagé un café avec sa femme, il y a un an environ. J’étais venue voir un ami, dédicacer l’album jeunesse « Hailey » qui venait de sortir et dont l’illustratrice, Laura Giraud, est Chambérienne aussi. Je me dis que c’est beau ça : écrire dans un café à Montréal, le café Augusta, alors que le tenancier prend soin de chacune, chacune, chacune des personnes qui entrent dans son café, écrire sur Catherine et Gérard qui ont fait le choix de vivre en forêt, auto-construire leurs maisons, manger ce qu’ils produisent, et recevoir des nouvelles de Marjorie, penser aux doutes qui nous relient au moment d’écrire, toujours, et regarder ma fille en face de moi, casque sur les oreilles, qui me dit que « la physique-chimie, en fait ça va, c’est cool ». Oui, je me dis que c’est beau. Je pense aussi à Marie qui bientôt, passera prendre soin de chez nous alors qu’Aude et sa famille viennent d’en partir. Xavier vient de signaler à deux nanas qui cherchaient une place où s’installer et qui s’étaient résignées à prendre une boisson à emporter, qu’il pouvait se décaler, leur laisser sa place. Il y a des feuilles d’automne sur le sol en bois. Des gens qui travaillent sur leur ordi, à chaque table. Aux murs, les affiches informent sur des cours de chant, des séances pour respirer et bouger en communauté, sur un marché gourmand, des balades canines et des visites félines, et d’autres trucs que je ne distingue pas bien de là où je suis. Pendant que Monsieur Augusta siffle derrière son comptoir, je lis sur une affiche : « Bâtir demain, brique par brique. »
« Au début, on n’a pas été très épatés par les maisons. Ici, l’architecture n’est pas vraiment belle. C’est le modèle étasunien en préfabriqué. Même les pentes de toit ne sont pas adaptées au climat ! Ils persistent dans l’erreur ! On n’est pas obligé de mal faire ! Nous, on a fait une pente de toit à 45 degrés et on ne déneige jamais ! On n’a pas besoin d’architecte. On fait un test pour la fosse septique, un arpenteur passe pour le cadastre et c’est tout. » C’est Catherine qui était graphiste qui s’est occupée des plans. Elle a fait les Beaux-Arts à Liège. Gérard lui, est guide nature à l’origine. Il a travaillé dans des parcs naturels en Belgique et en Allemagne. « Et j’ai aussi beaucoup travaillé avec mon père en forêt. »
Avant de commencer à construire, Catherine et Gérard ont trouvé du travail. « J’ai été ouvrier agricole, j’ai fait du fromage, j’ai travaillé pour un groupement forestier. Catherine travaillait en tant que graphiste indépendante, surveillait des examens, prenait tout ce qui passait en même temps qu’on cherchait un espace pour construire. » Gérard finit par rencontrer un gars – une histoire de champignons dont j’ai oublié la teneur – qui lui parle d’ici. C’est à sa sœur et ce n’est pas à vendre. Ils viennent voir quand même. Marchent. Et ce qui n’était pas à vendre finit par se vendre. « On a beaucoup marché, avec une boussole. On mettait des petits flags là où on se sentait bien. C’était toujours au même endroit, là où nous sommes. On n’avait pas le droit de construire à plus de 100 pieds du chemin. Soit un peu plus de 30 mètres. Mais moi, je voulais m’installer là où je voulais. Le règlement municipal a changé et on a construit ici, après avoir bûché. » Bûcher, c’est abattre et débarder du bois, pour le sciage et pour le chauffage. « On a fait faire une base en béton, à 1,50 mètre du sol, pour le gel. L’électricité est enterrée pour qu’il n’y ait pas de problème au cas où un arbre tombe. Un gars a commencé le travail et nous on faisait les allers-retours depuis Matapedia. On a fini par vendre la maison où on était et on a loué une chambre pour un an dans une auberge de jeunesse. En 2006, on a créé Gaspésie Sauvage, notre compagnie. La première année, on n’avait pas trop de travail. Alors on a profité de ce temps pour construire un canot dans lequel mettre deux adultes, trois enfants, un chien et un pique-nique. »
Qui peut dire : « On a profité de ce temps pour construire un canot dans lequel mettre deux adultes, trois enfants, un chien et un pique-nique. » ?
Je leur dis que je trouve ça fou de ne se fermer aucune porte comme ça. Mais Gérard voit les choses sous un autre angle : « Ce n’est pas qu’on ne se ferme aucune porte. C’est qu’on les garde toutes ouvertes. On n’est arrêté sur aucun plan. On est conduit par notre envie. » Catherine complète : « On avait déjà beaucoup restauré en Belgique, avec tout notre cœur. On a appris en faisant et quand c’était fait, on passait à autre chose. » Gérard est du même avis : « Oui, on apprend en faisant. On rate. Quand on se trompe une fois, on gagne en expérience. Deux fois, on est juste cons ! Pour nos saucissons secs, j’ai raté plus d’une fois ! » « Au fil du temps, on va plus vite aussi, trouve Catherine. On fait mieux. On a des automatismes à force de travailler ensemble. » À force de faire, tu sais. « On a acheté des livres pour apprendre mais c’est surtout en faisant qu’on sait. » Je suis assez stupéfaite de tout ça mais
Gérard ne trouve pas qu’ils osent. Il trouve qu’ils essaient
« Oser, ça voudrait dire qu’il y a un défi en jeu. Il n’y a pas de défi. » « Notre premier mur n’était pas très droit, explique Catherine. Mais il tient toujours debout. Quand on ne sait pas comment faire, on cherche, on se renseigne, et on trouve. » Ici, ils pensent déjà aux prochains projets : les maisons de leurs fils, un sauna, une cabane à sucre…
Quand Xavier construisait notre maison, il disait toujours qu’il ne pensait pas au projet trop globalement, pour ne pas s’effrayer lui-même. Il disait : « Je construis un mur, puis un toit, etc. » Je retrouve ça chez Catherine et Gérard : « On ne regarde pas l’entièreté. On découpe. Sinon, on s’impatiente trop. » Ils ne sont pas non plus fiers d’eux et je partage tant ce ressenti. « Des gens nous disent souvent qu’on doit être fiers d’avoir fait tout ça. On n’est pas fiers. On est contents. »
Je me demande s’il serait juste de dire que Catherine et Gérard n’arrêtent jamais. Voir les choses ainsi serait peut-être une façon de cloisonner qui ne leur conviendrait pas. Alors qu’ils ont une vie complète où les choses s’entremêlent ; construire, cultiver, soigner les animaux, cuisiner, s’occuper du bois, ramasser les champignons, préparer les commandes… « Comme des vacances », trouve Gérard.
Catherine et Gérard produisent pour eux, pour manger. Pour payer les factures, les études des enfants et les matériaux qui ne viennent pas des arbres de leurs 40 hectares de forêts, et parce que le troc n’est pas toujours possible, ils ont créé Gaspésie Sauvage. « Beaucoup de gens vivent pour et à travers leur boulot. Pour nous, Gaspésie Sauvage est un moyen de vivre la vie que l’on veut vivre. »
Catherine a débuté la poterie. Quand l’hiver arrive et qu’il y a moins à faire dehors, ou plus la possibilité de le faire, elle se réjouit de pouvoir reprendre. Elle ne voulait pas les vendre à l’origine ; « Elle n’était jamais assez contente d’elle. » Et puis, au bout d’un moment, il y a eu trop de tasses à la maison.
Au tout début, pour développer Gaspésie Sauvage, Catherine et Gérard distribuent des cartes et des échantillons dans les épiceries et les restaurants montréalais. « On a demandé qui était les trois chefs les plus connus du Québec et on leur a envoyé nos champignons frais, en leur disant qu’on ferait ça jusqu’à ce qu’ils nous répondent. Ça a fonctionné, puis le bouche à oreille. Pas de publicité. On ne cherche pas à développer, ce n’est pas notre finalité. Il y a plein de choses que l’on pourrait faire et vendre cher, mais ce n’est pas notre but. » Leur but, ce n’était pas non plus d’être autonomes, auto-suffisants. « Ça s’est fait petit à petit, pour être libres. En Belgique, tout était cher. On se disait que nos enfants ne pourraient pas avoir de maison à eux. Qu’ils devraient faire des prêts et payer des gens qu’ils n’aiment pas ! » Alors, ils ont décidé de se construire une vie où ils feraient ce qu’ils ont envie de faire et d’avoir, sans crédit bancaire.
Montaine demande ce qu’ils préfèrent faire. Gérard répond : « Ce que j’aime le moins faire, c’est tuer les bêtes. Cette fin de semaine, on va tuer les volailles et la semaine prochaine, la vache. » Catherine commente : « Ça le met de mauvaise humeur. » Mais il dit qu’il assume : « Une fois que la bête est morte, la débiter en sachant qu’elle va nous nourrir, ça va. » Dans le film qui leur est consacré, « La famille de la forêt », Gérard explique bien ça. La façon avec laquelle il procède : éloigner l’animal quelques temps, pour créer un peu de distance, ne pas le surprendre, faire ça du mieux possible pour honorer sa vie et ce qu’il va offrir avec sa mort. « Tuer nos bêtes ici, par nos soins, c’est la meilleure fin possible pour elles. C’est un moment propre, sans brutalité. »
Catherine, elle, ce qu’elle préfère, c’est s’occuper du potager, l’arranger, semer… « L’été prochain, on va tout réaménager, refaire les rectangles, mettre plus de fleurs ici, moins de légumes là car les garçons ont leur potager désormais. On sait aussi maintenant, avec les années, qu’il ne faut rien planter sous le noyer car le tanin empêche tout de pousser. »
Moi qui m’inquiète sans cesse de savoir si j’offre assez à mes enfants, si dans la forêt où nous vivons, je ne les isole pas, j’ai besoin d’être sûre qu’ils ont assez d’ouverture dans leur vie, assez pour savoir que des ailleurs existent, des autres existent, d’autres choses existent, j’ai besoin de savoir ce qu’ils en pensent eux, comment ils ont fait eux. « Les garçons ont toujours eu des activités ailleurs. Le foot, le volley… Ils ont fait des stages de vigneron en Allemagne, Côme est aussi parti un an en Belgique. On s’était posé la question de l’école à la maison, mais on tenait à ce qu’ils s’intègrent. Avec nous ici, ils auraient vécu dans une bulle belge, ce n’était pas le projet. Même si on trouve que le système scolaire ici n’est pas assez exigeant. Parfois, ils félicitent les gamins en disant qu’ils ont fait de leur mieux alors qu’en vrai, ils ont glandé ! » Nous parlons des fautes d’orthographe et du bilinguisme : « Ici, tout est fait pour protéger
la langue française mais au final, cela divise. À l’école, les enfants qui parlent français et ceux qui parlent anglais sont séparés. C’est un sujet sensible pour les Québécois. Il y a des écoles pour les Français et d’autres pour les Anglais. Cela crée juste deux solitudes. »
Nous continuons d’échanger tout en visitant les lieux. Le potager – nous goûtons de délicieuses cerises de terre. Nous rencontrons les animaux – cochons, lapins, volailles, vaches, taureau… Nous découvrons le garde-manger, les dizaines et dizaines et dizaines de bocaux remplis de légumes, viandes, plats cuisinés. La famille consomme ce qu’elle a semé, récolté, cuisiné, ce qu’elle a entretenu, ce dont elle a pris soin. Nous goûtons un morceau de leur charcuterie et après nos repas sommaires dans le camping-car, elle a le goût du paradis. Nous grimpons dans le coffre du pick-up pour aller voir le chantier de la maison en cours. J’entends des noms de végétaux que je n’ai jamais entendus de ma vie. Le chantier en cours me rappelle celui de notre maison. Du bois, des vis, les mêmes questions, les mêmes attentions. Ici, ça va loin puisque le bois utilisé pour construire la maison vient des arbres d’à côté, choisis, débités, passés dans une scierie mobile. Je vois que Xavier a les yeux qui brillent.
« On nous dit parfois qu’on est différents mais moi, je trouve justement qu’on est normaux. »
Gérard insiste aussi sur le fait que souvent, on regarde quelque chose mais on ne le voit pas vraiment. Cette attention, cette présence qui donne la direction, c’est ça qu’il semble vouloir développer chez ses enfants. Ils font, ils savent faire mais l’important, c’est de repérer quand il faut faire, et ce qu’il faut précisément faire. Je me dis qu’il y a là une façon de distinguer l’instruction de l’intelligence, dans cette attention critique qui impose l’ajustement.
Vous n’avez jamais imaginé venir en France plutôt qu’au Canada lorsque vous avez décidé de quitter la Belgique ? « En France, là où il y a 59 centrales nucléaires ? Ça serait souhaitable vous trouvez ? » Nous parlons de l’avenir, des guerres à nos portes et des vies que l’on se souhaite. Gérard a ces phrases frappées au coin du bon sens, ces questions qu’il vous retourne et ces réponses qui en sont vraiment. Rien n’est donné en exemple, encore moins en leçon. L’assurance solide semble vivre collée à un doute souple. Encore une fois, une attention vivante, fine, qui questionne, interroge, cherche la façon de faire la plus juste pour rester cohérent, pour conserver le plaisir de vivre libre. Je pense à ces environnements qui semblent rendre féconds. Une forêt, un potager, des livres, des questions, des discussions, des gestes qui tentent, qui s’ajustent, des animaux et des plantes. Le savoir détenu par Catherine et Gérard me semble monumental. Je ne suis pas certaine qu’ils aimeraient l’idée. Peut-être me diraient-ils que le savoir ne veut rien dire, que l’expérience est une source mais que tout est à faire, à poursuivre, à refaire, encore et encore, au rythme des saisons, des récoltes et des désirs. L’abondance autour de nous va avec la sobriété de Catherine et Gérard. Pas de grands maux, pas d’effusion, pas de déclaration. Des voix tranquilles qui nous racontent et nous montrent. Nous sommes touchés de la générosité qu’ils nous offrent, en nous accordant leur temps et leur récit, alors qu’il y a tant à faire, dans chaque recoin de leur territoire.
Deux jours après notre visite, nous échangerons quelques nouvelles : « Vu la météo, nous avons plutôt été chercher de la nourriture pour les cochons puis nous avons passé le reste de la journée en forêt sous la pluie, à brûler des tas de branches issus du débardage de cet été. Aujourd’hui, on prépare le gîte et la micro-maison. Ensuite on récolte dans le potager (tomates, cerises de terre, patates,…) La cueillette des champis se fera en début de semaine prochaine, après l’abattage des volailles de cette fin de semaine. » Je repense à « Une année à la campagne », de Sue Hubbel, mon livre préféré. Et puis : « Voilà, les volailles, c’est fait : cinq oies, une vingtaine de canards, une quarantaine de poulets. Demain, on débite, on fait les conserves etc… » Nous, demain, que ferons-nous pour nous sentir à notre juste place ? Je me dis qu’est peut-être ici la question que soulève notre rencontre avec Catherine et Gérard.
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« La famille de la forêt » : film de Laura Rietveld – Diffusé sur Arte – Version courte disponible sur YouTube
* Source : Wikipédia