Carte postale
Chère amie,
Je pense à toi, tu sais. Chaque matin en me réveillant, alors que ta journée est bien entamée déjà, que tu as déjeuné et que tu penses peut-être déjà au soir.
Ici, les couleurs sont sublimes. Je ramasse des feuilles que je colle dans un carnet mais chut, ne le dis à personne.
Nos journées sont très occupées et je ne sais pas toujours à quoi. Nous roulons, nous marchons, nous travaillons, nous cuisinons. Il faut trouver où dormir, trouver une place pour notre refuge mobile. Nous passons nos soirées à discuter et à plaisanter tous les quatre et cela me rappelle pourquoi j’aime vivre dans des petits espaces. Ils rassemblent.
Sur la route, je passe beaucoup de temps à regarder les maisons. Il y a tant de vies tu sais ! Je n’ai que quelques secondes à chaque fois pour imaginer toute une existence, des habitudes. C’est trop peu et je voudrais m’arrêter partout pour poser des questions, ou pour regarder les gens vivre, comme une petite souris. Ce voyage me fait me sentir plus humaine ou davantage appartenir à une communauté d’humains. Nous nous ressemblons.
Ici, le dehors semble beaucoup compter. Il y a des chaises partout, sous les porches, dans les jardins sans clôture. L’automne est doré d’une façon qui embellit tout. Je ne sais pas combien de Canada nous avons déjà vus. Dans un petit carnet, je note ce qui nous étonne. Il n’y a pas de plaques d’immatriculation à l’avant des véhicules, les fils à linge sont très hauts et fonctionnent avec un système de poulie, il y a énormément de pick-up et pas de clôture autour des maisons, ni de volets aux fenêtres.
Nous mangeons mal et pour cher. Notre gastronomie n’est pas un mythe.
À l’heure où je t’écris, tu dois rêver dans ton lit déjà. Nous roulons en laissant Lévis dans notre dos. Je ne sais pas encore où nos dormirons ce soir. Je sais juste que nous pourrons recharger la réserve d’eau et que nous mangerons des frites.
J’espère que tu vas bien. Ta voix me manque et nos discussions, chère amie. Je sais que je te retrouverai à mon retour, que tu seras là. C’est une certitude qui m’émeut.
J’espère que tu vas bien, que la Polonie où tu travailles est supportable, mais je sais la puissance de ta joie et j’imagine les livres que tu dévores et les magnifiques détails de la vie que tu sais saisir. J’espère que tu parviens à conserver du temps pour que tes créativités s’expriment, chaque jour, pour que ne sommeille pas trop longtemps le clown en toi. J’espère que tu iras bientôt au bord de l’océan, nager dans les grosses vagues qui lavent et redonnent du souffle, qu’elles te donneront une énergie nouvelle et salavatrice. J’espère que tu marches, sans moi, que tu respires, que tu sens les fées autour de toi, qui éloignent les vilains et augmentent ta formidable aura ; te savoir près de ma forêt me fait du bien. J’espère que tu tiens le coup, dans le rythme fou de ta vie et que tu trouves toujours la place pour le sport qui t’équilibre tant ; je pense aussi si fort à ton « mari » et tes enfants. J’espère que ça se passe bien avec ta nouvelle collaboratrice, que vous prenez vos marques ensemble ; encore bravo pour l’appel d’offre que tu as remporté. J’espère que tu trouves l’équilibre, entre ta vie personnelle et ta vie professionnelle, que cette dernière ne t’épuise pas trop, et que tu marches chaque dimanche matin ; est-ce que mes chaussures de randonnée te conviennent ? J’espère que tu penses chaque jour à ton périple dans le désert marocain, que cette perspective te porte et te permet d’attendre avec sérénité les réponses que tu attends. J’espère que tu n’es pas épuisée par la charge de travail, par tous tes projets si enthousiasmants ; ton associé est-il toujours en congé paternité ? J’espère que tu avances dans ton livre, entre deux consultations et les entraînements de handball de tes enfants. J’espère que tu montes à cheval chaque semaine et que tu prends tes marques dans votre nouvelle maison. J’espère que tu marches toujours le dimanche matin, dans l’eau de la Méditerranée, j’aime t’imaginer prendre ce temps pour toi. J’espère que tu réalises le rêve qui se réalise pour toi, que ton histoire dans un livre, dans des libraiiries, dans des mains, dans tes têtes de lecteurs, cela te réjouit. J’espère que ta maman va guérir, qu’elle guérit, et que toi tu parviens à garder le moral et l’espoir. Je t’imagine, entre des racines et des germes, écouter et parler, marcher et lire, écrire aussi, peut-être même peindre un peu.
Chère amie, tu m’accompagnes chaque jour et je mesure ma chance. Je fais l’expérience d’une autre géographie qui ne m’empêche pas de t’avoir dans ma vie. Même si nous retrouver sur le même fuseau horaire facilitera nos échanges, c’est sûr.
Nous avons rendez-vous au bout du bout de la Gaspésie, dans cinq jours, pour rencontrer une famille singulière. J’ai hâte de t’en dire plus, de te raconter nos découvertes. En attendant, je pense à toi et te demande de prendre soin de toi. C’est égoïste peut-être, mais tu es si précieuse dans ma vie.
Je t’embrasse affectueusement depuis le Canada.
Aurélie