13. Oct 2025 | Par Xavier

Semaine 1

Au 1er jour, tout est assez fluide. Pas de réveil en retard, pas de Montaine en retard, Anthony et notre avion à l’heure. 8 heures de vol, ça paraît long avant, parfois pendant, mais pas spécialement après. On regarde le sol s’éloigner, la liste des films et celle des trucs à manger. On dort un peu, on regarde un film et on joue au Uno.

À l’arrivée, on tape la discut’ avec un type si gentil qu’il est forcément d’ici. Il nous aborde comme ça, sans autre intérêt que l’interaction. Il vient de Gaspésie et ce soir, il dormira chez son fils pour s’éviter 10 heures de trajet en plus, sans film et sans Uno.
Sur les conseils avisés de Vincent, nous prenons un taxi pour récupérer notre voiture de location. On aurait pu le faire avec tous nos bagages mais Montaine préfère laisser son sac à dos sur une chaise de l’aéroport. Nous le récupérons quand Aurélie, sixième sens de Maman en éveil, s’aperçoit que Montaine voyage plus léger qu’en partant.

Nous rejoignons Aditya, qui nous loue son Mitsubishi, modèle Outlander. Aurélie pense que c’est un signe qui la rapproche un peu plus de Jamie (le héros de la série). Je pense que c’est logeable et que tous les bagages tiendront easy, avec un peu de méthode. On roule vers le chalet. Les pick-up sont grands comme des camions et les camions sont grands comme deux camions. Ils roulent vite et je roule doucement. Il me faut un temps d’adaptation avant de dépasser les 90 km/h. Je l’avais déjà repéré en le suivant dans une sorte de délit de sale gueule occipital. Il roule en Opel Kadett et pense visiblement que l’on peut compenser le manque de cheveux par leur longueur. Du coup j’ai peur et j’accélère.
L’arrivée au chalet est magique ! Il y a tout ce que l’on aime. C’est beau, c’est fini, c’est vert. Il y a un immense lac et des bières au frais. Nous allons près de l’eau. Le premier animal avec lequel nous faisons connaissance est une grenouille, assise, tranquille, à se faire dorer la pilule sur son rocher. Loin d’imaginer se faire leurrer par un tissu rouge piqué sur un hameçon, puis amputée du bassin et des deux jambes pour nourrir des Français amateurs d’ischio-jambiers de batraciens fris dans du beurre à l’ail et au persil, elle nous regarde passer du coin de son oeil rond et globuleux. Nous la mangerons un autre jour.

« Il est quelle heure là-bas ? » « Ah ouais ils dorment tous parce qu’il est 18h00 ici. » « C’est fou quand même, en temps normal je dormirais, c’est sûr. Ça doit être le soleil qui jour sur notre rythme ». Allez, on va se coucher histoire d’y aller progressivement.

Deuxième jour :
Difficile de se défaire de ces peurs archaïques qui nous poussent à remplir nos estomacs, donc direction le supermarché pour remplir un frigo rassurant 🙂
Il y a des barres horizontales, à 80 cm de haut, dans le couloir de l’entée du magasin. J’ai peur de rentrer dedans avec mon caddie. Est-ce qu’elle s’ouvrent automatiquement ? Si oui et que j’arrive trop vite, je risque de tout casser. Si non et que j’arrive trop lentement, je vais avoir l’air con. Je choisis la deuxième option, ayant davantage confiance en la solidité de mon égo qu’en celle de tubes en aluminium. Je demande donc de l’aide pour savoir s’il y a une façon de faire. Le type me répond qu’il faut les pousser. J’ai l’air con, mais je suis rentré. Quelle aventure me direz-vous.
Tous est fluo, les emballages et la bouffe. Tout est très emballé. Le camembert me manque. Il y a des frites en conserves, des œufs blancs comme s’ils n’avaient pas de coquille, un beau rayon bière/sodas et du pâté de campagne en tube. Nous sommes ici pour nous immerger dans la culture canadienne, mais parfois, dire oui aux autres ne doit pas vouloir dire non à soi.

Nous allons opter pour des pommes de terres, des légumes, du poisson. En gros, tout ce qui ressemble à nos habitudes, et quelques œufs albinos qui se trouvent être très bons. Nous prenons également deux paquets de saucisses de Strasbourg d’ici, symbole de notre égalité face à la malbouffe.
Vincent nous a proposé de faire un tour sur le lac, à l’aide plateforme flottante équipé d’un petit moteur électrique, dont la batterie se recharge à l’aide d’un panneau solaire. Le concept est absolument génial !!! Nous passons un moment merveilleux. Il y a un oiseau plus petit qu’une oie et plus gros qu’un canard, de la forme d’un cormoran et qui fait le même bruit qu’un brame de wapiti. Quand il crie, ça résonne et c’est beau.
Comme à son habitude, Montaine met son corps là où nous ne mettrions pas un bâton : elle saute dans l’eau du lac. Elle est froide « mais ça va quand on est dedans ». J’irai sans doute avant de partir.
Nous sommes encore un peu déphasés, et nous avons besoin de nous rappeler à haute voix que « nous sommes au Canada », « nous sommes en Amérique du Nord ». « On est à combien de kilomètres de chez nous du coup ? ». J’entends les oies bernaches du Canada, et je me demande si elles se disent que je suis un humain de France, à 5 700 km de chez lui, à vol d’oiseau.

Troisième jour :

Ma chronobiologie fait visiblement ce qu’elle veut, n’en déplaise au fuseaux horaires. Celle de Montaine aussi, et nous nous retrouvons dans l’entrée de la maison à 5h00. Elle sait que je ne suis pas un adepte des rencontres imprévues à cette heure-ci et dans le noir, et me glisse un doux « c’est moi », ce qui m’évite d’avoir peur et de lui sauter dessus pour lui faire une clef de bras.

Elle s’apprête à sortir pour aller voir le lever du soleil. Je suis fan du concept et qu’elle en ait eu l’idée toute seule. Nous avons trente minutes d’avance mais le soleil tarde à monter. 1h30 après, il finit par se lever, sans s’excuser du retard. J’apprécie moyennement.
Après un petit déjeuner dopé de protéines, c’est l’heure des cours pour Robin et Montaine, du travail pour Aurélie et de je ne sais plus quoi pour moi.
Nous allons courir avec Rob’s. Il fait un peu chaud pour lui, et les trente minutes sous le cagnard ont raison de lui. Le soleil nous cherche des crasses depuis ce matin et je pense que nous allons avoir une sérieuse discussion lui et moi.

Nous nous retrouvons au village, en bas, avec Aurélie et Montaine, dans une boutique nommée « Aux trouvailles de Mandeville ». On y trouve des trucs avec ou sans intérêt. Les trucs avec intérêt sont payants et les trucs sans intérêt sont gratuits. J’aurais pu repartir, sous réserve de prendre une carte d’adhérent, avec les chaussures trop grandes d’un défunt, ou une seule pièce d’un service complet en porcelaine noire. Nous aurions aussi pu jouer aux cartes avec un groupe de vieux. J’avoue que c’était tentant.

L’après-midi : randonnée ! Nous allons visiter les chutes du calvaire. C’est peu attrayant si l’on se fie au nom et au registre volontaire qu’il faut remplir avant de s’y aventurer, mais c’est magnifique, et il n’y a pas d’ours. Il y a plein de belvédères le long d’une rivière. Montaine et Aurélie ramassent des feuilles et des pommes de pins miniatures. J’adore les voir faire des trucs qui ne m’auraient jamais traversés l’esprit. Elles pensent la même chose de moi quand je m’arrête sur un escalier pour comprendre comment il a été assemblé, et comment ils ont bien pu faire pour tailler le limon aussi long en une seule pièce. Et en plus il a fallu l’acheminer.
Le soir, nous allumons un brasero pour manger des saucisses dont la cuisson dépend du niveau de patience de chacun. Robin trouve ça bon rapide et froid, Montaine pense qu’un côté chaud suffit, et Aurélie pondère son choix car la montée en température de la « viande » est corrélée à la baisse en température de ses pommes de terre. Elle attend le point d’équilibre, celui où elle va pouvoir manger tiède et au bon moment, engloutit son assiette à température homogène.

Il est 21h00. Étant donné le différend que j’ai avec l’autre astre là, j’ai décidé de l’ignorer et je considère qu’il est donc 27h00 en France, l’heure pour la chronobiologie d’aller se coucher. Ça ira mieux demain, quand il fera jour.

Quatrième jour :
Nous rencontrons Vincent, fils et frère de personnes extrêmement chères à notre cœur. Les temps scolaires et le sommeil commencent à trouver leurs places.

Vincent nous retrouve vers 10h00, et je le rencontre comme un vieil ami, que je n’aurais pas vu depuis longtemps. On dit que l’on reconnaît les amis à cette façon simple que nous avons de nous retrouver. J’en déduis que nous avons dû nous connaître dans une vie antérieure et sans doute ici-même.
Nous faisons le tour du terrain en commençant par le plus beau point de vue. Il y a un rocher sans parapet qui donne sur une vallée magnifique. J’ai souvent le vertige quand je suis en hauteur avec les enfants mais je n’ai pas le vertige seul. Je vis le vertige qu’ils n’ont pas, ce qui est inutile.
Il y a un peu plus haut deux emplacements qui pourraient accueillir des petites habitations alors nous en parlons et j’adore. Il me prend une soudaine envie de construire.
Vincent nous a réservé une surprise : Olivier nous rejoint. Olivier est Canadien, charpentier, a été pompier volontaire pendant 10 ans, et fabrique son propre sirop d’érable. Je l’aime. Il est mon autre (lien en fin de post). Je suis son Lara Fabian et il est mon Maurane. Olivier nous quitte pour visiter quelques clients à lui. Je voudrais lui faire un bisou mais je prends sur moi.
Nous nous faisons un bon petit gueuleton avec Vincent. J’ai fait sans le savoir un pâté chinois (NDLR : un hachis parmentier). Nous parlons de lui et de son fils Ruben, neuroatypique. Ils aiment venir ici et Ruben aime prendre des bains. Nous marchons ensuite en forêt, jusqu’au point culminant du terrain. « C’est beau, et ça le sera encore plus cet hiver, quand les feuilles seront tombées et que l’on verra loin ».

Nous avons rencontré Vincent, soit disant pour la première fois. Il est aujourd’hui plus que jamais une personne chère à notre cœur.

A l’aube du cinquième jour (RIP Ennio), il fait froid. Aurélie se lève, descend de la mezzanine et dans le SPA chaud. Elle y va comme si c’était prévu. Je l’y rejoins et nous nous demandons à quoi est due cette sensation de bien-être ? On opte pour le contraste de température sur fond de nostalgie amniotique.
Nous préparons les sandwichs avec Robin car aujourd’hui, c’est randonnée. Nous allons tourner autour d’un lac. Montaine n’aime pas marcher. Elle n’a jamais aimé ça. Elle traîne la patte à l’aller et se dépêche au retour. Pour en finir et pour arriver la première. Pour abréger et pour gagner. Le seul truc qui fonctionne pour la motiver, c’est de l’appâter avec la bouffe, ce qui me donne aussi l’impression d’aller à la pêche.

Robin aime plutôt bien marcher. Il ne rechigne pas. Il a fait ses calculs d’emmerdements. Celui qui consiste à contester l’autorité parentale et celui qui consiste à se mettre en coup de pied au cul, pour en mettre un devant l’autre, et recommencer. Le second est privilégié.
Aurélie adore marcher en forêt. Elle lève la tête. Elle nous parle des couleurs des feuilles, du bruit de nos pas, de la perfection de ce qui nous entoure et du scintillement de l’eau. Montaine parle moins, pense à je ne sais quoi et aux chips. De manière générale, Aurélie et Robin parlent beaucoup. Il arrive très souvent que je rattrape des conversations en cours, parce que j’étais ailleurs, dans une bulle ou dans les nuages.

Quand je reviens sur terre, ils sont tous les trois en train de trouver de nouveaux noms aux lac, pour les rendre un peu moins moroses. Montaine opte pour le lac rymal, Robin pour le lac satif, et je retourne dans ma bulle. Nous faisons le tour du lac en cœur. Il est entre la forme de l’organe et celle du symbole. Mais les cardiologues et les amoureux s’entendront sur un point : il est magnifique.
Il y a toute une série d’affichages pour motiver ceux qui ne le sont pas. On nous enjoint à sortir, bouger et cogiter, une sorte de coaching sur panneau plastifié d’un hybride entre Confucius et Tibo Inshape. On y apprend que 100 % des choses que l’on ne tente pas échouent.
Nous sommes à l’aube du sixième jour et je pars faire du canoë sur le lac avec Aurélie.

Jour 6.
Nous sommes à l’avant-veille d’être ici depuis plus d’une semaine, et c’est mon deuxième jour sans Olivier. Les routines du lever s’installent : café, pain grillé, consignes pour les devoirs des enfants. Aujourd’hui, je vais aller courir. C’est décidé. Que personne ne me retienne. J’ai dit non, laissez-moi, je vais me faire suer.

Vincent m’a parlé d’une boucle d’une douzaine de kilomètres à faire depuis le chalet.
C’est beau. Ici, c’est la montagne : les pentes sont des cotes et les plats sont absents. Je marche dans les montées. Je suis un homme seul en forêt, et je pense aux ours, censés êtres absents de la région. Mais il y a toujours une première fois. Les requins bouledogues sortent des eaux salées, et attaquent aux embouchures des rivières alors que personne ne s’y attendait. Pourquoi ne serais-je pas le premier homme à me faire béqueter par un grizzli censé être à 1000 km d’ici ? Celui de Yakari était finalement un ours bien, mais ce n’est pas assez rassurant à mon goût, s’il se trouve que je suis du sien.
Je vois une masse sombre dans une zone éclaircie. Je pense que c’en est un. Je pense que c’en est fini pour moi. Je me sens proie. Il court plus vite que moi. Il grimpe aux arbres plus vite que moi. Il nage plus vite que moi, mais ne pourra pas compter sur cet atout car nous sommes loin des points d’eau.
Je cours dans les montées. Je réfléchis. J’achèterai une bombe au poivre pour me rassurer des dangers qui n’existent très probablement pas, et j’en profiterai pour en prendre une à Aurélie, pour ceux qui existent trop : il y a plus d’attaques d’hommes sur les femmes que d’ours sur les humains, tous sexes confondus.
L’après-midi, c’est concert au Blue ray bar. Je ne connais pas les us et coutumes des alcooliques du coin, mais j’ai l’intention de faire une petite immersion, soft car nous sommes en famille. La tenancière me demande si toz infon paske pa dle avin 18 in. Je réponds que oui, nous serons partis avant 18h00. Elle répète que « les enfants n’ont pas le droit d’être dans le bar car ils ont moins de 18 ans ». Moins 10 000 aura, comme dirait Robin.
J’adore la musique, l’ambiance, les T-shirt Wrangler avec des cornes de vaches et les danses en ligne. Aurélie prend un coca, Robin et Montaine un jus de fruit. Je prends la même chose que le type, là-bas. À ma première gorgée de bière, je me rends compte qu’il devait boire une bière de fond de fût aromatisé au viandox. Tant pis pour la bière mais tant mieux pour le bon moment.
En partant, nous croisons Olivier dans son pick-up.

Jour 7 – Denier jour au chalet de Vincent

Je me réveille toujours de bonne heure, mais Aurélie et les enfants prennent bien le rythme et dorment. Il faut dire que je me couche plus tôt qu’eux car la vie des Gilmore ne m’intéresse pas plus que ça. C’est une série doudou dont les personnages parlent beaucoup.
Fort d’être sorti du lit plus tôt que le soleil, je me dis que mon café sera meilleur si je le bois sur l’embarcation mobile, au milieu du lac. Je branche la batterie, j’avance gentiment sur l’eau et je bois mon café, heureux. Je vois traverser quelque chose en surface. Une petite tête ou une grosse nageoire. Je ne sais pas trop et je me méfie. J’ai envie de m’approcher mais je n’ai pas envie de m’approcher.
La silhouette est sortie de l’eau. Plus rien, sauf une branche qui tombe dans le lac. C’est l’œuvre d’un castor ou d’une carpe amphibie (j’ai trop regardé « Le règne animal »). Je continue mon chemin et mon café, intrigué.

Une deuxième tête vient dans ma direction, sans changer de cap. C’est un castor. Je veux qu’il s’approche mais je ne veux pas qu’il s’approche. Je ne sais pas qui aura peur en premier. Le rongeur qui fait la taille d’un chien ou moi et mon mug de café ? Perso, je suis partagé entre ce que les générations précédentes m’ont laissé comme gènes de chasseurs et la peur. Mes molécules de testostérone sont toutes tremblantes.
Il finit par plonger en claquant sa queue. Il devait s’agir d’un mâle.

La journée est calme ensuite. Etudes, lecture, balade avec les enfants durant laquelle nous croisons la route d’une grenouille grosse comme un poulet. Elle traverse la route en quelques sauts et je pense que le ventre vide depuis trop longtemps, elle pourrait manger un oiseau.
Nous nous offrons une petite heure à deux avec Aurélie, surpris de voir se terminer la journée et nos conversations, plus calmes que celles des Gilmore.

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